Travailleurs de la Baie.
Baie de Somme, France.
Fascinée par la Baie, je dois cette série à Nicole. Nicole a plus de soixante printemps derrière elle, savoir combien précisément n’apporterait rien à son histoire, à quoi bon, elle se trompe elle-même régulièrement dans les années. Elle est pêcheuse à pied depuis presque toujours. Elle est vérotière et pêche les coques quand la marée a sonné.
Indissociable de son amie Reinette, le duo de veuves arpente les mollières, ces terres marécageuses de la baie de Somme et perpétue les traditions d’un métier ancestral.
La baie de Somme est classée comme l’une des plus belles baies du monde. Située sur le littoral de la Picardie, elle s’étend sur 70km carrés sur lesquels se succèdent des falaises, des étendues de sable, des marais et des galets qui composent un paysage hors-norme, brut et préservé.
Ces travailleurs de la mer portent en eux les stigmates d’un travail souvent rude mais aligné à des valeurs, à un goût des grands espaces et au respect des rythmes de la nature.
Les pêcheurs de la Baie de Somme viennent parfois de loin pour ramasser les coques, de Normandie ou de Bretagne, seuls, en couple et parfois en famille.
Cette bande de travailleurs, aussi hétéroclite que joyeuse, se retrouve à l’heure de la marée au lieu de rassemblement afin de s’inscrire sur les registres administratifs et de rejoindre les tracteurs qui les conduiront jusqu’au lieu autorisé de pêche dans la baie.
La saison de la pêche aux coques commence en mai pour se terminer en octobre.
Avant de partir, tous se retrouvent dans un brouhaha heureux, certains se changent sur place, d’autres en profitent pour échanger quelques anecdotes. Les tracteurs et camions trouvent leur place avant le grand départ.
Quand l’heure de la marée basse arrive, les uns et les autres grimpent sur les remorques des tracteurs. Tout s’accélère. Le convoi roule vite pour rejoindre le lieu de pêche.
Une fois sur place, les tracteurs sont déchargés de leurs travailleurs et du matériel. Les pêcheurs se répartissent sur les prés salés au son des cris des mouettes qui veillent avec intérêt à cette agitation.
Ils grattent avec force et frénésie le sol pour en retirer les coques et les passer dans la venette pour avoir le bon calibrage. Les sauts se remplissent à une vitesse vertigineuse, les gestes sont précis et les sacs de coques s’accumulent.
Rares sont les temps de pause, chaque minute est comptée. Le temps n’a plus la même valeur.
Nicole a perdu son mari il y a quelques années. Elle évoque régulièrement la bienveillance du groupe et des hommes à son égard. « Et pourtant, rien ne les y obligent ». Des virils, des tatoués, des baraqués, des « taiseux », des curieux autant de personnages qui pourraient servir de terreau à des raccourcis à la mode.
Rapidement, le ballet des vélos électriques se met en place. Les plus chanceux, bien équipés transportent à tout vitesse la récolte vers les tracteurs. On aide les autres aussi, ceux qui sont moins équipés ou plus seuls.
Quand la pêche est terminée, que les camions sont chargés, l’exaltation laisse place à la fatigue. A la joie aussi, celle du travail accompli, au coeur de cette Baie magique.